31 La comédie musicale : Génèse d’un succès
27 Juin 2017
Ils sont 4 amis, deux filles, et deux garçons…Chaque année, ils se retrouvent à l’occasion du sempiternel réveillon du 31… …Leur histoire démarre en 1999, et sa construction à l’envers nous fait remonter jusqu’en 1979…Comme dans les poupées russes, le spectateur découvre les personnages tout au long de la pièce, recolle les morceaux, apprend à les connaître et comprend peu à peu ce qui les lie…La pièce est ponctuée de parenthèses musicales écrites et composées par Stéphane Corbin…Mise en scène par Virginie Lemoine, cette pièce a connu un gros succès, tout d’abord il y a plus d’un an au Festival off d’Avignon, et durant plusieurs mois à la Comédie des Champs Elysées de Paris…Face à cette adhésion du public et de la critique, le spectacle va faire un petit tour de France, et même, dépasser les frontières pour des représentations à San Francisco ou St Barth notamment. La première cérémonie des trophées de la comédie musicale les a récompensés pour le meilleur livret. Nous avons rencontré 3 des protagonistes de « 31 » tout juste sortis de cette cérémonie. Ils nous ont confié leur bonheur, leurs projets…
Sourires aux lèvres, Virginie Lemoine et Stéphane Corbin s’installent dans ce café proche du théâtre Trévise. Ils sortent à peine de l’enregistrement de la 1ère cérémonie des trophées de la comédie musicale où ils étaient nommés dans 6 catégories.
Si le bonheur se lit sur leurs visages, ce succès semble quelque peu les dépasser. « Ces retours extrêmement positifs sont tellement valorisants…On monte un projet sans moyens et sans argent…Et soudain, les gens sont touchés…Pour vous donner une idée, les cubes qui sont sur la scène, ce sont mes cartons de déménagement quand j’ai changé d’appartement ! Il n’y a pas de règle pour expliquer de telles retombées…Bien entendu, le succès, on l’espère toujours…mais cela nous échappe totalement, et quand il arrive, cela fait un bien fou » se réjouit Virginie.
Stéphane l’écoute attentivement, en hochant la tête…Lui aussi n’est pas peu fier de cet accueil. Surtout lorsqu’il évoque le parcours qui l’a mené jusqu’à cette reconnaissance. « Après les manifestations qui ont eu lieu à la suite du mariage pour tous, il y a 4 ans et demi, j’ai été choqué par leur violence et par la recrudescence des actes homophobes qui ont suivi…Moi je suis homosexuel, et j’assume. Donc j’ai été touché en tant qu’homosexuel, mais surtout en tant qu’être humain…Virginie qui est hétéro, a aussi été touchée en tant qu’être humain…On a eu l’impression qu’un tas de gens venaient nous dire que nous étions des sous citoyens, que nous n’avions pas les mêmes droits que les autres. Pourtant, nous payons nos impôts, nous cotisons, nous travaillons…quand je prends l’autoroute je paye, est ce que ça fait de moi un sous citoyen ?
Sa révolte et son dégoût, il ne pouvait les exprimer qu’à travers son art. Il a donc fondé un collectif baptisé "Les Funambules". 400 artistes bénévoles s’y sont réunis pour défendre l’amour dans sa diversité. À partir du double album édité pour l’occasion et pour lutter contre l’homophobie, le compositeur a construit la comédie musicale "31" avec Gaétan Borg et Stéphane Laporte. Son engagement, il ne le conçoit qu’ avec des chansons. « Les chansons ont cette vertu de s’immiscer dans la vie des gens de manière douce et pacifiste…Si vous n’aimez pas, vous éteignez, vous n’êtes pas obligé d’écouter. J’ai été tellement heurté, que ma réaction a été animale et instinctive. Moi j’avais beaucoup milité dans des associations de lutte contre l’homophobie, et je constatais que les autres faisaient mieux que moi. Je voulais créer un objet artistique et transmettre une parole en chansons…Je me suis rendu compte que c’est là qu’était ma place dans l’engagement. Une chanson c’est une réponse douce, pédagogique et éducative »…Il a encore et toujours du mal à comprendre l’hostilité qui plane sur la population homosexuelle. « Si les gens peuvent entendre que nos histoires sont semblables à les leurs, ils vont peut être accepter qu’on partage la même humanité…Depuis la nuit des temps on se projette dans des histoires hétérosexuelles, nous on n’a pas notre Roméo et Juliette. On trouve un peu cela dans Gide ou Genest, mais c’est tout…
Son visage s’assombrit un peu plus lorsqu’il évoque la violence et la discrimination dont il a pu faire l’objet. « Tout ce qui fait souffrir un homo, c’est le regard social, c’est la discrimination…c’est quelque chose qui est créé par les êtres humains, cette violence est crée par les codes, et les idées ancestrales…Je me sens à égalité avec un hétéro…La seule différence est dans la chambre à coucher et ce qu’il s’y passe c’est privé…Il faut avoir conscience qu’on est en permanence obligés de se justifier…mais oui on a les mêmes vies. Certes, il y a des gens extravagants et non extravagants, comme chez les hétéros…Pour moi, c’est du même ordre que le racisme ou l’antisémitisme…conclut il quelque peu dépité. Car au cours des représentations, les réactions homophobes n’ont pas manqué. « Que ce soit à Paris ou à Avignon, un soir sur deux, il y a deux personnes qui sortent, toujours au même moment plus ou moins bruyamment, élégamment….On a entendu des moqueries ouvertes…c’était dur pour les comédiens, car on vivait tout ça sur scène…Nous on a l’habitude car on subi ça depuis l’enfance, en famille à l’école au boulot…Mais dans l’équipe, les plus choqués étaient les hétéros…Ça ne viendrait plus à l’idée de faire des vannes en utilisant les mots « négros », « bougnouls » ou « youpins ». Mais avec les « pédales », les « tafioles », tout est possible ! Quelque chose s’est libéré depuis les manifs.…La minorité vociférante se sent dans son bon droit…Si chaque personne faisait un peu, le monde changerait peut être, c’est ma conception des choses, comme le tri sélectif ! s’amuse-t-il…Virginie, optimiste, tempère en lui rappelant la diversité des réactions « Souviens toi d’une représentation au Havre. Un monsieur est venu nous voir après, en nous disant « si mes fils sont homos je les prendrai dans mes bras alors qu’avant, je ne l’aurais sûrement pas fait ! » Ce genre de réactions leur font évidemment chaud au cœur…
« Je suis toujours émue en entendant cela…mais pas seulement…Je me souviens aussi que beaucoup de spectateurs à Avignon étaient des personnes âgées…Une dame de 80 ans est venue de Paris avec des béquilles. Elle était avec une amie de 78 ans…Elles n’avaient pas réservé, mais ont insisté pour avoir leurs places…Dès qu’on parle de la différence, toutes les catégories peuvent se sentir touchées..et ça me bouleverse… ».
Leurs visages radieux s’illuminent un peu plus en voyant arriver Stéphane Laporte, l’un des auteurs de 31, qui s’installe à la table, son trophée du meilleur livret fraîchement décroché. Homme clé de l’équipe, c’est au cours d’un dîner qu’il a « tout inventé » quand Stéphane Corbin est venu présenter les chansons des funambules. « On s’est décidé à raconter une histoires avec 4 amis, dont deux femmes fortes qui ont une grande importance dans la vie de deux hommes…Restait à trouver l’occasion de les faire se retrouver années après années, et ce fut le 31 car c’est une période névrosée chez les gens ! » s’amuse-t-il.
Ensemble, ils ont crée une famille. Malgré des univers atypiques, ils se découvrent des combats et colères communes, tout comme le même humour. Car 31 reste avant tout c’est une histoire d’amitié indéfectible. Et quand on les interroge les uns sur les autres, c’est une pluie d’éloges réciproques qui déferle…
En attendant, une petite video...