Les Misérables : Interview de Djebril Zonga

20 novembre 2019

Le dernier Festival de Cannes l'a vendu, revendu, et survendu... Et lui a même décerné le prix du Jury... Alors forcément, la sortie du film "Les Misérables" s'est imposé comme la sortie cinéma évènement du moment... et tant qu'on ne l'a pas vu, on ne peut être  que méfiant et soupçonneux... Comment parler de la cité, des banlieues, de la police, sans tomber dans le déjà vu et les clichés ?... Ben si... c'est possible... Et cet exploit vient de Ladj Ly, le réalisateur de ce film, qu'on peut effectivement auréoler des qualificatifs les plus élogieux... La qualité de la réalisation (la cité devient presque belle malgré la misère ambiante) la performance des acteurs (inconnus mais constamment justes), le scenario (surprenant souvent, ou haletant) tous les ingrédients sont rassemblés pour parler de ce premier essai comme d'un grand et bon film, parmi ceux qui restent. Si le titre est emprunté à l'incontournable livre de Victor Hugo, le seul point commun avec le roman est d'analyser les "misères" de la France d'aujourd'huià travers la pauvreté, le racisme, le communautarisme en filigrane...


Nous avons rencontré Djebril Zonga, l'un des 3 acteurs principaux du film qui nous a reçu pour un interview...


Comment vous êtes vous retrouvé dans cette aventure et dans ce tôle de flic de cité, qu'on appelle "Baqueux" ?

 
Pour être très honnête, je n'avais pas d'autres propositions donc je ne pouvais qu'accepter! (Sourire) On avait fait le court métrage avant ce long. Je connais Ladj depuis longtemps, c'est un ami... On a grandi côte à côte. Je vivais à Clichy sous bois, lui à Montfermeil.  On  a évolué dans le même univers artistique. Je savais qu'il préparait un long métrage, il m'en avait parlé deux ou trois ans auparavant. Lorsque j'ai tourné mon premier film en tant qu'acteur, (NDLR "C'est tout pour moi de Nawell Madani sa compagne à la ville et Ludovic Colbeau-Justin)  j'ai appris qu'il préparait son court métrage mais pas par lui directement, par un ami commun... Je lui avais pourtant dit que s'il avait un rôle, il pouvait compter sur moi... Mais il ne m'avait pas appelé. Donc je l'appelle et je lui dis "je comprends pas...je sais que tu cherches un acteur noir, pourquoi tu n'as pas pensé à moi ?... j'ai vraiment envie de le faire.." Et là, il me répond "ok je te donne le rôle"... Je lui rétorque "non, je ne veux pas que tu me laisses le rôle, je veux passer les essais... Si ça fonctionne pas tant pis..." Je ne voulais surtout pas qu'il se sente obligé, je voulais lui prouver que j'en étais capable... Qu'il ait envie de travailler avec moi. J'avais vraiment besoin d'être légitime. C'est comme ça que j'ai atterri sur le court-métrage.

Comment vous avez préparé le rôle ?

 
Ladj nous a laissé la liberté totale de travailler les personnages. Donc j'ai pris un coach et j'ai surtout rencontré des policiers de la BAC, notamment un avec le même parcours que mon personnage... cela m'a permis de les observer, d'échanger, de leur poser toutes les questions importantes pour être au plus proche de la réalité.
C'était important pour moi de lui apporter un côté humain qu'on oublie souvent chez les policiers mais qui existe...Et après, j'ai regardé énormément de videos. Avec mes deux partenaires qui jouent les deux autres policiers,  on a beaucoup travaillé en s'échangeant des informations, des idées...On répétait ensemble, on se faisait des remarques quand on estimait que l'un d'entre nous n'était pas juste. C'était très important d'oublier le jeu, de se fondre dans nos personnages...

Quel regard vous portez sur votre personnage ?


Je peux tout à fait le comprendre... Je me dis que tant qu'on n'est pas confronté à une situation, on ne peut pas savoir comment on va réagir...



Et ce rôle a changé votre vision de la police ?


Je n'ai jamais eu de vrais problèmes avec eux quand je vivais dans ma cité. Bon j'étais sage, (sourires) donc ça allait... mais je subissais des contrôles d'identité fréquemment... Aujourd'hui je pense que tout le monde ne peut pas faire ce métier! On est confronté à tellement de choses éprouvantes et lourdes. Être policier, ce n'est pas juste faire de la répression. C'est aussi annoncer la mort de quelqu'un de proche à des familles par exemple. Et vivre avec la peur qui fait partie du métier... Tous les jours on doit se lever avec cette peur au ventre. Leurs conditions de travail sont parfois terribles... Ils ne sont pas aimés par le peuple, pas considérés par leur hiérarchie, donc tout ça fait que mentalement c'est difficile de tenir le coup et à un moment donné on peut commettre l'irréparable... Je crois qu'il y a vraiment un problème au niveau du recrutement. J'ai été assez frappé par le test qui permet de devenir policier... C'est un test qu'on peut passer trois fois...Si on le rate une première fois, on le repasse avec les mêmes questions... Donc il suffit de réviser et de le repasser... C'est à dire que n'importe qui peut le devenir, c'est incroyable. Il devrait y avoir des tests psychologiques, savoir si on est capable d'endurer des épreuves très dures... Donc évidemment je comprends leur situation aujourd'hui... Leur démotivation, leur désespoir qui conduit certains au suicide...
 

La cité est la toile de fond du film, avec sa misère, sa dureté, ses habitants. Vous qui y avez vécu, et qui y êtes retourné pour le film, est ce que vous avez constaté des évolutions ?

 
La situation n'a pas changé. Je viens de Clichy sous bois et je n'ai pas vu de changement...Même si j'imagine qu'il y a sans doute eu des tentatives d'amélioration...Mais quand je vois l'état des bâtiments, le taux de chômage et une certaine misère, je me dis que c'est pire qu'avant en fait...


 

Et quel est votre sentiment vis à vis de l'attitude des pouvoirs publics par rapport aux cités, leurs différentes tentatives d'actions ?

 
Le film a été projeté à l'Assemblée nationale. Et c'est une très bonne chose. Après, il y a eu un débat... On nous a dit qu'il y avait eu des plans banlieues, ou encore qu'on prenait des mesures. Je n'accuse pas les pouvoirs publics de ne rien faire. Peut-être qu'en effet ils essaient... Mais quand on voit que c'est toujours un peu la misère, on se demande pourquoi il n'y a pas de mesures concrètes ou au moins des mesures un peu plus efficaces... Et surtout, je me demande pourquoi il n'y pas de vrais discussions avec ceux qui y vivent au quotidien... Pourquoi on ne se met pas tous autour d'une table pour en parler concrètement ? C'est un dossier trop lourd et trop ancien pour le régler dans des bureaux à des kilomètres des endroits concernés.



Il vous semble important d'accepter ce genre de rôle pour attirer l'attention du public sur les problèmes qu'on rencontre là bas ?

 
Quand on décide de faire ce film, on ne se dit pas que c'est important de faire ce film pour envoyer des messages. Je me rends compte que le film est une radiographie de notre société. L'importance de ce film c'est de remettre le débat sur la table et du coup de discuter, de dialoguer, de remettre la lumière sur des gens qu'on a tendance à oublier... Le film part juste d'un constat sans prise de parti, qui fait réfléchir et qui engendre des questions.

Vous disiez que vous faites vos débuts, et vous jouez dans un film primé à Cannes...

 
C'est incroyable. Il y a plusieurs sélections à Cannes... Déjà c'était extraordinaire de se retrouver dans la compétition officielle... C'était absolument énorme...Une surprise...Alors avoir une récompense, jamais je n'aurais pu l'imaginer. Quand le film a obtenu le prix du jury c'était une immense fierté...Une fierté collective...On était tous unis dans l'émotion, la joie et la fierté...


D'autant plus que vous en êtes à vos débuts d'acteur, car vous avez été footballeur, puis mannequin ?

 
Oui je faisais des photos. Pour moi mannequin n'est pas un métier c'était juste un moyen qui me permettait de gagner ma vie. Mais ne s'en tenir qu'à montrer une image ça ne me nourrissait pas intellectuellement... J'avais envie d'autre chose... En 2012 je franchis la porte d'une école de théâtre à New york et là j'ai eu le déclic. J'ai su à ce moment précis que j'allais tout faire pour devenir acteur.


L'an dernier, Aïssa Maga dénonçait la discrimination qui existe dans le cinéma avec toujours les mêmes rôles ou trop peu de rôles qu'on offre aux acteurs noirs... Cela vous fait peur ?

 
Je suis encore jeune dans le métier pour avoir été confronté à ce genre de problème, mais je sens bien qu'il y a peu de rôles variés pour les noirs...Ils sont souvent cantonnés aux mêmes types de personnages. Les choses bougent vraiment très lentement, car les réalisateurs sont frileux. Il y en a certains qui donnent un coup de pied dans la fourmilière comme Olivier Nakache et Eric Toledano. Ils ont mis la lumière sur Omar Sy... Mais en dehors de lui, on ne peut pas dire qu'il y ait aujourd'hui beaucoup d'acteurs noirs demandés dans le cinéma. Ni qu'il y ait de rôles "classiques" pour eux...
 

Quels sont vos références dans le cinéma ?

 
L'acteur qui m'a vraiment donné envie c'est Marlon Brando...Je connais tous ses films Il me fascinait... Il y a eu aussi Denzel Washington.... Ce sont vraiment deux des acteurs qui m'ont le plus marqué et donner envie de faire du cinéma...


En dehors de la promotion intensive de ce film, vous avez des projets par la suite ?


Pour l'instant, rien de précis... On verra bien... Je savoure un peu ce qui m'arrive avec les retombées du film, les réactions positives... C'est assez exceptionnel de vivre ça... Donc j'en profite... Mais je garde à l'esprit de ne m'attendre à rien...Au moins, je ne serai pas déçu !


PrécédentPage 1 sur 11